Et laboratoire élaborations


La roue du temps, le lire comme révolution

La roue de lecture du XVI ème siècle, inventée par Ramelli en 1588, mue par une série d’engrenages, elle permettait au lecteur de faire apparaître simultanément devant lui plusieurs livres ouverts, disposés sur chacun des pupitres que comporte l’appareil. Les différents extraits de textes habillaient ainsi les états d’âmes du moment du lecteur, épousaient son temps intérieur et lui redonnaient une mobilité. 

Cette roue comme une métonymie de ce qui se passe par l’opération de lecture. Cette circulation, cette révolution sur soi-même, qui est le propre peut-être de la puissance de liberté et d’oubli du lire. 

Un “livre-échos”, donc, qui résonne fortement, qui positionne dans une posture d’être lecteur, conducteur, et non comme simple récepteur d’un livre prescrit ou conseillé. 

Extrait exposition Bnf “Choses lues, choses vues”

Alberto Manguel faisant lecture à l’auteur Borges… “ Faire la lecture à ce vieil homme aveugle fut pour moi une expérience curieuse, car même si je me sentais, non sans quelque effort, maître du ton et de la cadence de lecture, c’était néanmoins Borges, l’auditeur, qui devenait le maître du texte. J’étais le conducteur, mais le paysage, le déploiement de l’espace appartenaient à celui qui était conduit, pour qui il n’existait d’autre responsabilité que celle d’appréhender le territoire vu par les fenêtres. Borges choisissait le livre, Borges m’arrêtait ou me priait de continuer, Borges m’interrompait pour faire des commentaires, Borges laissait les mots venir à lui. Je restais invisible. ” 

Non pas voix de l’auteur, ni voix des personnages mais voix du livre pour l’autre, qui lui fait entendre la nécessité intérieure d’éveiller son interprétation, de traduire en signes, de relire et relier son existence entre les lignes. Voix qui peut être interrompue, tout le temps, qui laisse place.

Voix dont le corps émetteur sait se rendre invisible.


Territoires de lecture

Sentir que lire crée un contre-espace tout autant interne qu’autour de l’être. Espace de résonance des mots, des images qui s’inventent s’agençant, des sens multiples. L’univers qui se déploie, enveloppe, (se) dégage. Faire monde, le sien, par le truchement de la lecture.

Accéder au vide et être travaillé par le texte

Les deux écritures s’enfouissant et se révélant mutuellement, c’est comme emprunter un chemin déjà tracé tout en en définissant un sentier singulier qui se dessine à mesure de l’avancée, faisant du déjà là un nouveau ou re nouveau. Une manière de prendre place et de laisser trace de sa lecture, de son passage de lecture, comme passage de vie.

Repasser dans les mots d’un autre pour trou(v)er en soi la résonance de ce qui nous est propre. S’approprier ainsi, car chaque lettre est l’actualisation de son interprétation – de soi et du texte. 


À la recherche du chant du texte, sur un chemin 

Une formation de L.e.c.t.r.i.c.e.s, Formation dit cem, comme on parle de formation musicale. Expérimenter cet endroit-là. Ce moment où la phrase se déconstruit, se dissémine, devient mot, son… poésie. Cet approfondissement des sonorités, derrière le sens, cet archaïsme possible. Quand il pleut des mots sous forme de notes ?


Terre et « peaurosité »

Ne sommes-nous pas toujours pieds nus quand nous lisons ? L’archaïsme de la lecture est du côté de la signifiance plutôt que du signifié. Dans ce hors sens. Ce déshabillage du texte. 

Lire – avec délectation – dépliant les enjeux infinis de la lecture talmudique, interprétation d’interprétation, sans fin, pour ne jamais (s’)arrêter (sur) un sens.

« Dans la créativité lecturielle, l’homme lisant-créant s’invente autrement, “Je est un autre“. Lire “bibliothérapeutiquement“, c’est chercher à retrouver dans le texte ce moment de déchirement créateur, “cette aube différente et recommencée où, soudain, les choses revêtent un autre aspect dans un paysage inconnu“, où soudain on se sent envahi par un sentiment de joie de vivre, d’exister. »

Marc Alain Ouaknin, Bibliothérapie, Lire c’est guérir

Délicatesse, état d’être. Le corps est une grande oreille. Parole du corps et poésie. Le corps, c’est l’âme. Le corps dans le mouvement. Le mouvement dans le rapport à l’air. Comment on danse, on sculpte l’air ? Regards intérieurs, extérieurs. Comment le corps accueille le mot ?


Geste vocal

Voix de passage pour aller vers le territoire vu par les fenêtres. Sans théâtralité. Geste vocal d’empathie. Ce qui interroge sur l’équilibre entre le regard et la voix. Quel effet cet accordage pourrait-il avoir sur celui qui écoute ? Celui d’une coïncidence heureuse peut-être. Partition. Déchiffrement. Le lexique, même, dit ce lien étroit entre musique et texte. Ne s’agit-il pas d’aller à la recherche d’un texte originel pour chacun qui coïncide avec sa musique intérieure. Comment un texte pourrait-il être pour la personne un chant ? Et ce chant originel, original ne permet-il pas à la personne de s’écrire alors dans l’espace, dans son rapport aux autres, de se placer, en écho ? 


L’écho de/dans la lecture

Déplier le mot écho, par le dictionnaire (TLF électronique), je lis :

L’écho – au sens physique du terme : Phénomène de réflexion d’une onde dans le milieu de propagation. (je note, réflexion, propagation, réfléchir, propager)

Et plus loin, par extension : Tout effet de résonance ou de correspondance, de ressemblance ou de réponse. (je note résonner, co-rrespondre, répondre)

On dit aussi « trouver écho en ceci ou cela » = Accueil, réactions favorables, sympathie, adhésion. (je note accueillir) aussi plus loin « ne pas rester sans écho », ou « faire écho à ». Il y a réponse. De répondre, accuser réception, et à la responsabilité qui instaure l’être dans sa dignité.

Jacques Derrida


L’infini du lire

En point d’orgue, cette question de Marc Alain Ouaknin

« Mais alors, pourquoi lisons-nous ? (…) pour faire en sorte que l’être infinitif ne se transforme pas en être définitif ; pour faire en sorte que l’existence puisse encore s’entendre comme transcendance. »